Le peuple Padong

PRESENTATION : Les Padong sont un peuple originaire de Birmanie (30 000 individus vivent dans l’Etat de Kayah, nommé Etat Karenni avant 1947). Environ 500 Padong se sont réfugiés en Thaïlande à partir de 1988, chassés par les combats qui se déroulaient au Myanmar entre la junte militaire et les minorités ethniques de l’Est. De nos jours, environ 300 Padong vivent encore dans le Royaume, un grand nombre d’entre eux étant rentrés au Myanmar ou ayant été envoyés par des ONG en Australie, en Nouvelle Zélande et aux USA.

 – MYTHES ET LEGENDES A OUBLIER DEFINITIVEMENT :

1/ Le port du célèbre collier de cuivre nommé Zu Ka Baw (prononcer « Djou Ka Bo ») n’est pas obligatoire chez les Padong. Les femmes sont laissées libres de le porter ou de ne pas le porter ! (Notez qu’en Birmanie, de très nombreuses Padong ont abandonné le port du collier lors de leur conversion au christianisme à partir de 1850. De nos jours, l’incompatibilité de ce bijou avec le monde moderne a encore amplifié son abandon par de nombreux individus). Voici les résultats d’un sondage qui a été effectué en 2005 sur un total de 36 femmes Padong vivant en Thaïlande et portant le collier Zu Ka Baw par l’ethnologue birman Naw Wah Paw. La question était : pour quelle raison portez-vous votre collier ? Les réponses furent les suivantes :

– Pour être plus belle : 5 femmes (13,89 %)

– Pour affirmer mon prestige social : 8 femmes (22,22 %) – Pour maintenir la tradition : 14 (38,89 %)

– Pour des raisons économiques : 1 (2,78 %)

– Pour la beauté et le prestige sociale : 2 (5,56 %) – Par demande des parents : 4 (11,11 %)

– Par cohésion communautaire : 2 (5,55 %)

Notez que la beauté, le prestige social, le maintien de la tradition et la cohésion communautaire, c’est à dire les valeurs liées à l’individu et l’idée qu’il se fait de sa personne au sein de sa communauté, représentent un pourcentage très élevé : 86,11 %

2/ Un collier de cuivre se retire en 5 minutes et se fixe autour du cou en 10 à 15 minutes ! Les femmes Padong l’ôtent d’ailleurs de façon plus ou moins régulière en fonction de leurs occupations. Au village de Ban Nai Soi par exemple, certaines fillettes ne portent pas leur collier en semaine à l’école et ne le mettent que le samedi et le dimanche en famille.

3/ Les femmes Padong ne meurent pas lorsqu’elles retirent leur collier ! Comme je l’ai dit ci-dessus, elles l’ôtent assez régulièrement !

4/ Une majorité des femmes Padong que j’ai interrogé m’ont avoué ne pas souffrir en portant le collier de cuivre (certaines ont ajouté qu’elles avaient ressenti une certaine gène les premiers mois mais que celle-ci avait disparu avec le temps). Plusieurs d’entre-elles mettent une pièce de tissu sous leur menton pour éviter que celui-ci ne frotte sur le dernier anneau. Certaines Padong (en général celles qui portent les colliers les plus longs), m’ont parfois affirmé ressentir une douleur au niveau des clavicules à cause du poids de l’objet (quelques unes présentaient des ématomes) mais presque toutes dans ce cas ont pris la décision de retirer leur collier de façon temporaire ou définitive. Il arrive enfin que les petites filles de 4 ou 5 ans subissent une véritable gêne lors de la pose de leur premier collier (en particulier pour dormir). Le collier est alors retiré.

5/ Le cou des Padong portant un collier de cuivre ne s’allonge pas (on ne peut effectivement pas étirer une colonne vertébrale). Le seul effet physique notable est un léger et progressif affaissement des clavicules qui a été constaté sur des radiographies médicales et qui ne concerne que les femmes portant les plus grands et lourds colliers (elles sont minoritaires en Thaïlande, plus nombreuses en Birmanie).

6/ La majorité des colliers de cuivre Padong pèse entre 1 et 3 kilos. Les colliers les plus lourds (4 et 5 kilos) sont très rares en Thaïlande et ne sont portés que par 5 % des femmes (ces dernières ont toutes plus de 35 ans).

7/ La théorie voulant que les maris des femmes Padong infidèles feraient mourir leur épouse en leur retirant leur collier est stupide et totalement sans fondement (comme je l’ai dit précédemment, les Padong retirent leur collier en 5 minutes ! Elles le font assez régulièrement !)

8/ De nos jours, les femmes Padong ne subissent aucune pression de la part de leurs époux quant au port du collier (la pression sociale était, à n’en point douter, plus forte dans le passé). Les nombreux hommes de moins de 30 ans que j’ai interrogé ces dernières années penchent d’ailleurs pour l’abandon de cette tradition. Ils trouvent leurs épouses plus jolies sans le collier (on a pu constater le même phénomène il y a quelques décennies dans plusieurs ethnies minoritaires avec la chique de la noix d’arec et du bétel qui noircissait les dents des femmes). Pour information : – Le village de Ban Nai Soi où vivent 40 Padong ne compte que 7 femmes portant encore le collier de cuivre Zu Ka Baw. – Le village de Ban Nam Pang Ding où vivent 120 Padong compte 20 femmes portant encore le collier de cuivre Zu Ka Baw. – Le village de Ban Huay Sua Tao où vivent 100 Padong compte 18 femmes portant encore le collier de cuivre Zu Ka Baw. – Le village de Ban Nana Pao où vivent 46 Padong compte 14 femmes et adolescentes portant encore le collier de cuivre Zu Ka Baw.

9/ Le tourisme auprès des Padong débuta en 1995 en Thaïlande et durant la décennie 2000 en Birmanie. il n’a strictement rien à voir avec l’origine du port du collier Zu Ka Baw (celui-ci serait porté par les Kayan depuis 1070 après J.-C.). Les femmes Padong sont par contre conscientes de l’attrait des étrangers pour leur collier et savent se mettre en valeur afin d’en tirer des gains substanciels.

10/ La Thaïlande ne compte que 4 villages Padong (trois près de Mae Hong Son et un près de Thaton) ainsi que deux petits hameaux proches de Chiang Mai regroupant environ 300 personnes dont un peu plus de la moitié sont des enfants. Entre 60 et 70 femmes et enfants en tout sont directement concernés par le commerce avec les touristes. Toutes les femmes Padong que j’ai interrogé récemment et à qui je demandais pourquoi elles ne rentraient pas au Myanmar (les combats étant terminés et le régime politique s’assouplissant depuis 2010) m’ont avoué vouloir demeurer en Thaïlande car elles gagnent beaucoup plus d’argent avec les touristes que chez elles (entre 150 et 250 euros par mois alors que le salaire d’un ouvrier agricole birman ne dépasse pas 50 euros) et qu’il est plus facile de tisser des écharpes et de vendre des objets artisanaux que de travailler dans les champs !…

11/ Les Padong ne sont prisonniers de personne et les agences de voyages n’ont aucun contrôle sur eux !… Les frontières étant ouvertes à nouveau entre la Thaïlande et le Myanmar, ils rentrent parfois chez eux quelques jours et envoient de l’argent aux membres de leurs familles demeurés au Myanmar. Lors de ma dernière visite au village de Ban Nana Pao il y a quelques jours, une de mes amies partaient pour trois semaines de vacances chez elle en Birmanie en compagnie de sa fille (étudiante qui ne porte pas le collier !). Elle avait d’ailleurs elle-même retiré son collier de cuivre pour voyager !…

– NOM : Ce sont les Shan qui donnèrent aux Padong leur nom actuel : « Yan pa daung » signifie en effet « Karen qui portent des colliers » en shan. Le nom a ensuite été contracté en « Padaung » puis occidentalisé en « Padong ». En général, ce groupe tribal s’appelle lui-même Kayan (à ne pas confondre avec les Kayah ou Karen rouges !)

– ORIGINES DES PADONG : Les Padong sont probablement originaires des hauts plateaux tibétains. Evoquée à plusieurs reprises dans des chroniques birmanes sous le nom de Kayan, cette ethnie semble être installée dans l’État de Kayah (connu sous le nom d’État Karenni avant 1947) depuis plus d’un millier d’années. Au XIIIe siècle, le voyageur italien Marco Polo les mentionne d’ailleurs dans son ouvrage le Livre des merveilles et évoque la présence de « femmes au long cou » habitant les collines proches de Pagan. Durant les siècles précédant la colonisation britannique de la Birmanie (1824-1948), les Kayan entretinrent des relations étroites avec les Shan, tout puissants dans la région, contre lesquels ils se révoltèrent d’ailleurs à plusieurs reprises. Néanmoins, il fallut attendre 1988 pour voir les premiers Padong quitter leur terre d’origine. Le durcissement du conflit entre la junte militaire birmane (SPDC) et les mouvements de guérilla Karenni, en entraînant la destruction de villages ainsi que de terribles exactions à l’encontre de la population, incita de nombreuses familles Padong, alors réfugiées dans la jungle, à entrer dans la province thaïlandaise de Mae Hong Son où les autorités locales leur permirent de bâtir trois villages. Alors qu’ils sont 30 000 individus en Birmanie, les Padong ne comptèrent cependant jamais plus de 500 membres sur le sol thaïlandais. Afin de satisfaire la curiosité des touristes, quelques dizaines d’entre eux sont aujourd’hui installés près de Thaton, de Mae Tang et de Chiang Mai. D’autres, assistés par des ONG occidentales, sont partis s’installer au État-Unis, en Australie et en Nouvelle-Zélande entre 2012 et 2015.

– ORIGINES DU PORT DU COLLIER DE CUIVRE (je les explique avec beaucoup plus de détails dans mon prochain livre). Le port du collier de cuivre Zu Ka Baw est une tradition très ancienne chez les Padong (il n’est pas apparu avec le tourisme, loin de là !!!…). Les plus anciennes chroniques Kayan avancent qu’il aurait été adopté en 1070 après J.-C. Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer cette tradition originale :

1/ Un vieux rite Kayan raconte ainsi que dans un lointain passé, des esprits en colère contre les hommes envoyèrent des tigres sur terre pour qu’ils dévorent toutes les femmes. Les anciens proposèrent alors à ces dernières de porter de longs colliers en cuivre afin que les fauves ne puissent pas les égorger lorsqu’elles se rendaient dans la jungle en quête de plantes et de racines comestibles.

2/ Une seconde légende, décrite dans la mythologie Kayan, met en valeur la beauté d’une divinité féminine appelée Ka Kwe Bu Pe la mère dragon, ancêtre primordial qui aurait donné naissance aux êtres humains. Elle explique que c’est pour ressembler à celle-ci et imiter la grâce de son cou élancé, que les femmes Padong auraient décidé de porter de si longs colliers.

3/ Une autre explication, plus « historique », nous apprend que le port de ce collier n’aurait eu pour but que celui d’enlaidir les femmes Padong. En les rendant moins attirantes aux yeux des hommes des autres tribus (en particulier des Kayaw, spécialisés dans la traite des esclaves), on évitait ainsi qu’elles ne soient enlevées lors des fréquentes guerres tribales qui ensanglantaient la Birmanie dans le passé, puis revendues sur les marchés shans et birmans.

4/ Une dernière raison du port de ce collier serait de préserver les femmes Padong des mariages avec hommes n’appartenant pas à leur ethnie. Notons que cette jeune Padong, à l’instar de nombreuses birmanes, portent un maquillage réalisé au thanaka. Je rappelle que le thanaka est une pâte cosméthique de couleur blanche ou jaune utilisée en Birmanie (et évidemment par les peuples d’origine birmane qui vivent en Thaïlande). Elle est obtenue en râpant l’écorce d’arbres « à thanaka » (des arbustes de la famille des Rutaceae). Les femmes l’utilisent pour protéger leur peau du soleil, lutter contre l’acnée ou les mycoses, voire contre les moustiques. Elles l’appliquent surtout sur le visage (ou parfois d’autres parties du corps) et choisissent librement les motifs en fonction de leur inspiration.

Texte: Emmanuel Pervé

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